UN DRÔLE D’OISEAU VENDU PRÈS DE 330.000€

C’est une espèce rare, un oiseau mécanique réalisé au début du 19ème siècle par « ceux qui exécutèrent les plus extraordinaires œuvres de fantaisie » de toute l’histoire de l’horlogerie : les frères Rochat.
4.095.000€ c’est le record en date pour une pièce attribuée à leur production et vendue chez Christie’s il y a quelques années.
Pourquoi le nom de cette famille d’horlogers à le don d’exciter les collectionneurs et de faire monter les enchères en salle de vente ?
Les salles de ventes aux enchères sont un lieu magique pour tous collectionneurs. Peut-être le seul lieu sur terre ou existe l’espoir de voir surgir à la vente un trésor jusqu’alors inaccessible car secrètement conservé depuis plusieurs décennies dans une collection privée, un coffre de banque ou par les descendants de son propriétaire d’origine.
Ce drôle d’oiseau, dissimulé à l’intérieur d’une tabatière en or émaillé et délicatement décorée, est apparu pour la dernière fois sur le marché en 1954 lors de la vente « The Palace Collections of Egypt.» au Caire. Acquis lors de cette vacation par un amateur français, qui a constitué l’une des plus belles collections européennes, revoir ressurgir cet objet aujourd’hui est presque improbable.
Il a été présenté en vente le 28 septembre 2022 par la maison Aguttes à Neuilly. Cet évènement était l’occasion rêvée, peut-être la dernière, d’enrichir sa collection d’une pièce rarement accessible.
Fantastique par sa qualité d’exécution, fascinant par son état de conservation, et prestigieux par sa provenance et l’identité de ses précédents propriétaires, cette tabatière « coche toutes les cases » de l’objet de collection idéal.
Parce que chaque époque a son objet fétiche, l’oiseau chanteur est la complication la plus représentative de l’horlogerie de luxe du 19ème siècle. Objet de curiosité qui s’invite dans toutes les grandes Cours d’Europe, les tabatières à automates sont véritablement les premières créations avec lesquelles l’horlogerie entre dans le prestigieux cercle des métiers d’art.

Rendre l’objet vivant, c’est une obsession qui nait au 18ème siècle et pousse des mécaniciens de génie à créer des automates qui imitent les mouvements des êtres vivants. Cette robotisation, de plus en plus maitrisée, aboutit à la création d’objets animés, capables de se mettre en mouvement seuls grâce à un mécanisme intérieur. L’oiseau chanteur, dit aussi « automate à oiseau », qui apparait dans la seconde moitié du 18ème siècle, est certainement le meilleur exemple de cette miniaturisation de la nature.
A cette époque l’oiseau occupe une place de premier choix dans les salons des familles royales et la bonne société aristocratique. Enfermé dans une cage suspendue, le serin amuse et divertit en sifflant une mélodie qu’on lui a appris à répéter à l’infini. La tabatière est également un objet incontournable des salons jusqu’à l’invention du cigare et de la cigarette au milieu du 19ème siècle, tout comme la montre ou l’horloge de table qui est présente dans chaque pièce.
Une production d’objets hybrides, particulièrement complexes associant l’utile à l’agréable émerge alors. Nommés « objets de fantaisies », ces créations prennent la forme d’un objet d’orfèvrerie décoré d’émail et de perles, à l’intérieur duquel sont dissimulés un mouvement horloger et un mécanisme à musique.
Si Jacquet-Droz est la référence en matière d’automates, les frères Rochat s’affirment comme les plus grands créateurs d’oiseaux siffleurs. Se revendiquant « Horloger-mécanicien », François, Frédéric et Samuel Rochat participent à la naissance de l’horlogerie de luxe
Actifs de 1796 à 1830, la production d’oiseaux chanteurs pour tabatières représente la majeure partie de la production des frères Rochat de 1815 à 1826. Les pièces produites entre 1815 et 1820 sont aux yeux des collectionneurs les plus abouties : équipées d’une horloge, d’une boîte à musique et décorées d’émail et de perles. Ils travaillent en réseau avec les meilleurs artisans d’art, comme le fabricant de boîtes Jean-Georges Rémond, ou les émailleurs Lissignol ou Richier.
Si la famille Rochat est l’une des plus anciennes familles horlogères de la vallée de Joux, leur production reste particulièrement énigmatique car il n’existe aucune archive de leur activité. Les seuls documents susceptibles de fournir des indications sur l’ensemble de leur production sont les archives de leurs clients, notamment les livres de compte de Jean-Frédéric Leschot, fournisseur et successeur de Jacquet-Droz.
Les avis divergent sur le nombre de pièces produites. Si certains estiment l’intégralité de leur production entre 100 et 200 pièces, d’autres avancent le chiffre de 600 pièces. Seule certitude, très peu de réalisations ont survécu et sont répertoriés aujourd’hui.
La marque « FR » qui peut faire référence à François Rochat, Frédéric Rochat ou Frères Rochat est la signature la plus courante. Mais, à une époque où le concept de marque n’existe pas et ou la signature n’a pas encore l’importance qu’on lui accorde aujourd’hui, il est possible que d’autres membres de la famille aient participé à la production de l’atelier. Ainsi l’appellation « Frères Rochat », fait référence à une entreprise familiale qui est encore à ce jour très énigmatique.
Les pièces les plus recherchées sont celles à décor d’émail et de perles, et portant la double signature de l’orfèvre Jean-Georges Rémond. Cet exemplaire est représentatif des pièces les plus abouties de la production des frères Rochat.

Son état de conservation parfait n’est pas une coïncidence. Si cet objet est si bien préservé, c’est parce qu’il a voyagé dans les plus belles collections. D’eux d’entre elles sont particulièrement exceptionnelles.
Vendu avec son écrin d’origine et un second écrin signé « Berry Hill London New York », cet oiseau extraordinaire est passé entre les mains des célèbres frères Henry et Sidney Hill. Antiquaires et marchands d’arts installés à New-York, ils comptent parmi les plus grands experts en tabatières anciennes et font autorité sur le sujet. Ils publient d’ailleurs en 1953 un ouvrage devenu indispensable (Antique Gold Boxes). La Galerie Berry-Hill est une référence incontournable pour tous les collectionneurs d’objets rares et précieux des 18ème et 19ème siècles.
Cette tabatière a probablement été directement vendue par Henry Hill au Roi Farouk. Collectionneur de la démesure, le Roi Farouk a acquis durant les 15 années de son règne des pièces exceptionnelles dans tous les domaines : horlogerie, joaillerie, automobiles de collection, numismatique ou orfèvrerie…
Si la collection du dernier roi d’Egypte est certainement l’une des plus mythiques du 20ème siècle, sa dispersion l’aura été également. La vente des objets et œuvres d’art appartenant au monarque déchu a été l’un des moments les plus mémorables dans l’histoire des ventes aux enchères. Plus de 37.000 objets, plusieurs semaines d’exposition et de vente durant l’hiver 1954, et une vente internationale inédite : les enchères sont distribuées simultanément en français, anglais, arabes, grec et italien, une première dans l’histoire des ventes aux enchères.
C’est dans le catalogue de cette vente, organisée par Sotheby’s, qu’apparait pour la dernière fois ce drôle d’oiseau qui fut acquis par son actuel propriétaire. 68 ans plus tard, la chance d’acquérir l’une des plus belles pièces horlogères du 19ème siècle a été donnée une deuxième fois à toute une génération de collectionneurs. Un miracle… ou pas ? Si certains croient qu’il n’y aura peut-être pas de « prochaine fois », d’autres aiment penser que cet objet réapparaitra un jour, car comme dit l’adage « jamais 2 sans 3 ».