C’EST QUAND LE BON MOMENT POUR VENDRE SA MONTRE AUX ENCHÈRES?

La semaine dernière, l’Hôtel Drouot rouvrait ses portes à Paris, tandis que Sotheby’s menait sa Fine Watches Auction à Hong Kong et que Phillips inaugurait sa très attendue vente IWC: Back to the 80’s. Pas de doute : le grand bal des enchères horlogères est reparti. Et pour les collectionneurs, c’est un véritable marathon qui s’annonce, avec plus d’une cinquantaine de ventes spécialisées prévues dans les semaines à venir à l’échelle internationale.

Comme dans l’univers de la mode, le monde des enchères est rythmé par une saisonnalité : Summer Escape chez Bonhams, Fall Sessions chez Phillips, ou encore Geneva Spring Sessions. Ces rendez-vous phares ponctuent l’année et concentrent l’attention des collectionneurs. Mais derrière ce calendrier foisonnant, les interrogations sont nombreuses : Quel est le moment le plus stratégique pour vendre au meilleur prix ? Faut-il miser sur l’effervescence de juillet à Monaco, sur la grand-messe de novembre à Genève ou sur l’ambiance festive du mois de décembre à Paris ? Existe-t-il vraiment des périodes plus favorables que d’autres pour confier sa montre aux enchères ? Ils sont commissaires-priseurs ou experts en montres de collection, et apportent chacun une analyse pertinente sur la question…

Pour Jérôme Lemoine, expert et Directeur France d’Antiquorum, première maison de ventes à s’être spécialisée dès 1974 dans l’horlogerie, « le bon moment pour vendre, c’est quand tout le monde vend ! ». Son raisonnement est simple : pour comprendre quand la compétition sera la plus rude, il faut se mettre dans la peau des acheteurs. Depuis la fin des années 1990, il constate le même phénomène : lorsque plusieurs maisons organisent simultanément leurs ventes au même endroit, les collectionneurs se déplacent massivement. En effet, face à une seule montre repérée, un amateur ou un professionnel pourra se contenter de demander des photos, une vidéo ou un échange téléphonique avec un expert. Mais s’il en identifie dix ou quinze, la question ne se pose plus : il se rend sur place. Ces grands rendez-vous, qui concentrent souvent en une semaine 4 à 6 ventes, rassemblent ainsi tous les collectionneurs sérieux. Plus les participants sont nombreux, plus la compétition s’intensifie… et plus les prix grimpent. Pour un vendeur, choisir ces moments stratégiques, c’est maximiser ses chances de vendre mieux.

Dans le marché des montres de collection, Fabien Chicha est un oiseau rare, car il compte parmi les rares experts à être aussi horloger. D’abord expert auprès d’Antiquorum, puis Christie’s, il fonde en 2014 Iconeek, sa propre maison de ventes installée à Genève. Depuis plus de trente ans, Fabien Chicha conseille les collectionneurs dans leurs achats et les accompagne sur la vente de pièces d’exception. Pour lui, la question n’est pas tant de trouver le bon moment, mais plutôt de comprendre qu’il existe des périodes moins favorables que d’autres. Ainsi, à Genève, juillet et août sont des mois traditionnellement calmes. La dynamique ne reprend qu’en septembre, avec la rentrée des salons et des événements horlogers comme Watches & Wonders. Selon Fabien Chicha, le timing reste déterminant. Certes, les grandes ventes aux enchères offrent une visibilité incontournable, mais la stratégie peut se révéler à double tranchant. En effet, si plusieurs vendeurs présentent simultanément des modèles identiques, l’effet de rareté est complètement dilué. Dans ce cas, les collectionneurs, parce qu’ils ont le choix, deviennent plus exigeants. Les montres en état exceptionnel enregistrent alors de très beaux résultats, tandis que celles présentant une usure ou une conservation moyenne se vendent moins bien. À l’inverse, lorsqu’un modèle rare réapparaît après une longue absence sur le marché, l’enthousiasme des acheteurs se décuple et les prix s’envolent. Mais l’expert souligne que certains facteurs restent imprévisibles. Il se souvient par exemple de la Vacheron Constantin 222 : il y a 3 ans, la demande était relativement modérée, puis, au mois de juillet 2023, Brad Pitt est aperçu à Wimbledon portant un modèle vintage en acier. Immédiatement, la côte s’enflamme. Les célébrités et les influenceurs peuvent ainsi propulser un modèle sous les projecteurs et bouleverser le marché. Dès lors, un dilemme s’impose : faut-il vendre immédiatement pour profiter de l’engouement, ou attendre que les prix montent encore, au risque de les voir redescendre ? Aider ses clients à identifier ce moment stratégique fait partie intégrante du métier d’expert. Certaines typologies suivent d’ailleurs des cycles saisonniers : les montres de plongée, par exemple, se vendent mieux avant l’été, à l’image d’un cabriolet qui trouve plus facilement preneur en mai qu’en décembre.

Cependant, certaines montres échappent à toutes ces règles. Les icônes et les références rares créent toujours un engouement intemporel. Pour elles, Fabien Chicha est catégorique : « Le bon moment, c’est tout le temps. » La question n’est alors plus celle du timing, mais bien celle de la stratégie de vente. Enfin, Fabien Chicha rappelle que « le timing est le meilleur ami des collectionneurs », car pour un amateur, le temps est avant tout une richesse : il permet de s’instruire, d’apprendre, de se constituer une collection cohérente, de dénicher la pièce parfaite. En réalité, le bon moment n’est pas forcément que celui dicté par le marché, mais celui où l’on se sent prêt à vendre après avoir toutes les cartes en main.

ASTRID GUILLON | Commissaire-priseur & fondatrice de la maison de ventes Astrid Guillon

Commissaire-priseur depuis plus de 15 ans, Astrid Guillon a fondé sa propre maison de ventes aux enchères en 2021. Depuis, elle organise des ventes à l’Hôtel Drouot à Paris et à Besançon, capitale française de l’horlogerie. En quelques années seulement, elle s’est imposée comme la référence sur le marché des montres Lip vintage, avec déjà huit ventes spécialisées à son actif et plusieurs prix record enregistrés pour des modèles new old stock. Pour cette experte généraliste, la question du « bon moment » n’est pas déterminante en soi. Qu’il s’agisse de montres, d’art contemporain ou de mobilier, elle observe que les acheteurs recherchent avant tout de la traçabilité. Une provenance prestigieuse ou insolite attire irrésistiblement les collectionneurs et fait grimper les enchères. Le meilleur exemple en date est la montre Breguet ayant appartenu au Colonel Curie, qu’elle a vendue cet été 55 900€ avec un prix de départ à 20 000€. Mais pour Astrid Guillon, ce qui fait une réelle différence « c’est de présenter des montres dans un état de préservation impeccable, idéalement neuves de stock ». Toutefois, elle relève quand même que les ventes organisées fin novembre rencontrent toujours un écho particulier. À cette période, les collectionneurs se retrouvent souvent en concurrence avec un autre public : les amateurs qui souhaitent s’offrir ou offrir une montre pour Noël. Le facteur « plaisir » prend alors une dimension supplémentaire, favorable au marché. Concernant la conjoncture économique et ses variations, Astrid Guillon ne sent pas réellement d’impact. Positionnée sur un marché de niche, avec des montres généralement en dessous de 10 000 €, ses ventes attirent peu les investisseurs et s’adressent avant tout à un public de passionnés. Sa vigilance se porte donc ailleurs : éviter la concurrence entre lots d’une même vente. Dans une collection, il arrive en effet de trouver des « doublons », ces modèles identiques qui, présentés côte à côte, se cannibalisent ; or dispersés sur plusieurs ventes, ils ravissent au contraire les amateurs, heureux de retrouver une pièce qu’ils avaient manquée six mois plus tôt.

Greg Blumenfeld s’initie à l’expertise horlogère en autodidacte au milieu des années 1990 pour acheter ses propres montres « sans se faire avoir » et repérer les pièces remontées et bricolées. Rapidement, il développe un œil de connaisseur et devient une référence pour toute une génération de « jeunes collectionneurs » qui le suivront sur leguidedesmontres.com, qui restera pendant plusieurs années l’un des rares sites spécialisés dédiés aux montres de collection. Collectionneur et marchand, il accompagne aujourd’hui des amateurs exigeants en quête de pièces rares et exclusives. Pour lui, la question du « bon moment » ne se pose pas vraiment. Son avis est tranché : « Il n’y a pas de bon moment, ce qui compte, c’est de vendre la bonne pièce ». Et la bonne pièce, c’est celle qui suscite l’euphorie. L’évolution du marché lui donne raison : avec la généralisation des plateformes de ventes en ligne comme Drouot.com, Invaluable ou Interenchères, aucune montre ne passe désormais inaperçue. Chaque garde-temps trouve son public, grâce à une meilleure visibilité et à la multiplication des photographies et des vidéos mises à disposition des acheteurs. Ce phénomène est récent : avant la période Covid, toutes les ventes n’étaient pas retransmises et certaines montres, noyées au milieu d’un inventaire de mobilier ou d’argenterie, pouvaient passer inaperçues. Le vrai enjeu, selon lui, n’était donc pas le « bon moment », mais bien le bon endroit. Greg Blumenfeld se montre toutefois plus réservé sur les grandes sessions internationales de Genève ou Paris. S’il reconnaît que ces rendez-vous peuvent mettre certaines pièces en valeur, il confie aussi y avoir réalisé de « belles affaires » en tant qu’acheteur : « Il y a parfois tellement de montres que l’offre dépasse la demande ». Dans ce cas, l’abondance profite à certains collectionneurs attentifs, mais toutes les montres ne tirent pas leur épingle du jeu.

Le « bon moment » est en réalité une question de contexte, de stratégie et de psychologie. S’il peut parfois être lié à la saison, à l’actualité ou aux rendez-vous internationaux, c’est surtout une affaire d’expertise : savoir comprendre le marché, analyser la montre et l’acheteur cible.


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